Maurice-Ruben Hayoun – caractères et vertus éthiques
- Nom: Maurice-Ruben Hayoun
- Thèmes: Caractères et vertus
Transcription de la vidéo
Quels sont les caractères éthiques qui dans votre vie vous sont le plus nécessaires ?
C’est à mon sens, ne pas commettre d’injustice. C’est extrêmement difficile. Ne pas commettre d’injustice, ne pas aller à l’encontre du droit et surtout essayer de ne jamais se trouver dans le camp adverse de la vérité. Quand j’étais petit, je récitais les prières de manière beaucoup plus complète qu’aujourd’hui. Et vous savez probablement qu’en arabe, pour dire Dieu, l’une des dénominations, c’est aussi la Vérité, al Haq. Or il y a des prières qui ont été calquées sur l’arabe, pas sur le texte, mais sur la langue. Et en hébreu, pour dire la Vérité, comme dans les Psaumes, on dit emet et on dit : « A tout jamais, l’homme doit craindre le ciel, que ce soit publiquement ou en cachette, et doit reconnaître la Vérité.» C’est-à-dire Dieu. Mais c’est aussi un Dieu de vérité. C’est d’ailleurs ce que disent les Psaumes. Ils disent : « Le principe de la parole, c’est la vérité. » C’est-à-dire une vérité révélée ou une vérité trouvée. Donc voilà, grosso modo, ce qui détermine les liens les plus forts que j’ai avec l’éthique. Alors, in partibus, on essaye de faire en sorte que la pratique reflète justement ce principe. Ce n’est pas toujours facile, parce que parfois on est obligé de dire le contraire de ce que l’on pense, pour des raisons diplomatiques ou simplement pour sauver sa tête. Il y a des moments où... On dit que toute vérité est bonne à dire, ce n’est pas vrai.
Donc l’éthique a une dimension contextuelle pour vous ?
Elle n’est pas à géométrie variable. Mais parfois on ne peut pas dire publiquement ce que l’on pense, parce ce que cela pourrait entraîner des désordres, voire une injustice encore plus grande. Donc on pilote, on manoeuvre.
Est-ce qu’il y a un exemple qui vous vient à l’esprit ?
Par exemple, lorsqu’il y a eu les attentats du 11 septembre 2001. Le 30 ou le 31 octobre, j’ai eu les honneurs de la une du Figaro, la page une du Figaro. Mon texte s’appelait : De quel islam parlons-nous ? Un succès fou. Je me souviens que j’avais relu l’article deux fois pour ne pas m’exposer. Moi j’ai toujours été, je suis d’abord un savant et un professeur avant d’être un vulgarisateur ou un journaliste. Je considère que quand on parle de choses aussi graves, il faut être responsable de ce que ta plume trace sur le papier, parce que tu es lu par des centaines de milliers de gens qui ne sont pas là, qui ne te connaissent pas, qui peuvent te lire distraitement ou dans un train. Et pas forcément avec toute l’acuité intellectuelle ou toute l’attention qui va avec, qui est requise et donc il faut que tu fasses attention. Et là, voilà un exemple.
Ce matin, dans mon blog, j’ai parlé par exemple des massacres de harkis. D’abord j’ai fait un premier jet et ensuite j’ai changé quelques adjectifs, quelques épithètes parce que ces épithètes… Par exemple, j’avais dit : « L’intolérance bestiale des membres de l’ALN et du FLN qui se sont abattus sur les harkis en a tué plus de 100 000… Hommes, femmes, enfants, vieillards, vieilles femmes, tout. » Quand même, c’est trop. J’ai enlevé « bestiales », parce que je me dis… Alors est-ce que je n’ai pas été éthique vis-à-vis des harkis ? Non, non, puisque j’en parle et je reconnais que l’on a été injuste envers eux.
Mais il faut faire attention. Il y d’ailleurs une phrase due à un maître hassidique du XVIIIè siècle qui m’a toujours frappée et que mon maître en Sorbonne m’avait inculquée. Il me dit : « L’homme doit être malin, mais avec la crainte de Dieu. » C'est-à-dire que la crainte de Dieu doit tempérer sa témérité dans la malice. Il y a des choses qui sont dégueulasses et qu’il ne doit pas faire. Cela montre bien les deux écueils entre lesquels il faut naviguer. Nous ne sommes pas des anges et, finalement, l’éthique n’est pas un vain mot. Et comme dit le Talmud, la Thora n’a pas été donnée aux anges, car ils n’ont pas de tentations. Il n’y a pas de lutte entre leur essence charnelle et leur sensibilité à la transcendance.
Est-ce que le but du travail éthique est d’atteindre une sorte de perfection morale ?
A mon avis – je veux dire à mon âge maintenant – je ne pense pas que cela soit possible. Je pense même que ce serait irréaliste. Je crois tout simplement que l’être humain étant mortel, un terme est donc fixé à ses efforts et à sa vie. Par conséquent, comme le dit le traité talmudique des Principes des Pères: « Tu n’es pas obligé d’achever le travail. » D’abord, c’est hors de portée. En revanche, tu peux donner toute ta mesure et personne ne te reprochera de ne pas être allé jusqu’au bout de la tâche de l’humanité, mais au moins d’avoir poussé ta machine, si je puis dire, le plus loin possible. Et ça, je pense que c’est déjà suffisamment important.
Entretien réalisé le 6 décembre 2007