Christian Boiron – éthique religieuse, éthique laïque
- Nom: Christian Boiron
- Thèmes: Éthique religieuse - éthique laïque
Transcription de la vidéo
Est-ce que l’éthique est liée à l’idée de Dieu pour vous ?
Qu’est-ce que c’est que la notion de Dieu aujourd’hui ? Pour moi, la notion de Dieu, c’est la notion de sens. La notion de sens c’est quoi ? C’est de dire que nous autres humains, nous sommes des machines programmées pour faire une chose à laquelle nous n’avons pas accès. On ne sait pas à quoi on sert, mais on peut sentir qu’on sert à quelque chose, ou on peut ne pas ressentir qu’on sert à quelque chose. Pour moi la notion de Dieu : « Est-ce que tu crois en Dieu ou est-ce que tu ne crois pas en Dieu ? », c’est : « Est-ce que tu crois que notre vie a du sens, ou est-ce que tu ne crois pas que notre vie a du sens ? » Bien évidemment aujourd’hui, cela n’a plus de sens de dire : « Dieu c’est un monsieur avec une grande barbe, etc. », mais on se conduit toujours comme ça, dans un certain nombre de cénacles. Alors que si on croit ce que je viens de dire, c'est-à-dire si on croit que la vie a du sens, on accepte donc d’être une machine au service de ce sens.
Qu’est-ce qu’on peut faire ? Où est notre éthique ? Où est notre devoir biologique ? C’est d’optimiser cette machine dont nous avons reçu la responsabilité à la naissance et d’essayer de faire en sorte qu’elle soit le plus utile possible à ce dessein qui nous dépasse. Et comment être le plus utile possible ? C’est en étant authentique, c’est en écoutant ses besoins profonds, parce que le plaisir physique nous guide vers la survie physique de notre individu, le plaisir psychique nous guide vers l’intégration de notre individu à l’intérieur de la société, à condition de ne pas s’y diluer et de s’y perdre, et le plaisir transcendantal que j’appelle le bonheur, nous aide à exprimer notre spécificité, notre personnalité profonde. Et cette notion-là ne se passe qu’avec l’authenticité, c'est-à-dire que je ne peux le faire que si je m’accepte pour ce que je suis. Et c’est cela qui nécessite du courage. C’est cela qui nous amène à la notion d’éthique. L’authentique nous mène à la fois vers l’éthique et vers le bonheur. Si je suis ce que je suis, je trouve les règles qui me permettent d’être utile à la société le plus sûrement possible, et je trouve aussi les bases qui me permettent d’être heureux. Et donc à mon tour d’optimiser mes fonctions physiologiques qui me permettent de rayonner davantage, etc.
La dimension religieuse, c’est donc important pour vous ?
Pour moi l’homme ne peut pas se passer de religion, quelle que soit la façon dont on l’appelle, parce que l’homme ne peut pas se passer de guide. Regardez des gens autour d’un mort. Un mort de la famille par exemple, des amis, quelqu’un qui meurt. Il va y avoir un guide. Si vous n’avez pas de guide, vous avez une merde, passez-moi l’expression. Tout le monde passe à côté, personne ne sait comment se tenir. Qui est-ce qui va donner du sens ? Ces petits religieux qui sont quelquefois… pas géniaux, mais ils sont formidables par rapport à ce qui se passerait s’ils n’étaient pas là. Il y a souvent des funérailles qui sont bien tristes, parce qu’on a du mal à trouver le sens. Mais il suffit de quelqu’un, qui n’a pas forcément une étiquette religieuse, mais qui devient un guide religieux à partir du moment où il fait comprendre que le sourire, que l’ouverture, que le chagrin font partie du système, que la perte peut avoir un sens, que tout le monde peut, Que c’est un moment de chaleur partagé, possible, que la tristesse fait partie de la vie, que la tristesse c’est éphémère… Il y a besoin de gens pour nous guider dans ces moments-là. A chaque fois que l’on a des soucis, on a un besoin de religion. On peut l’appeler comme on voudra, mais ce n’est pas un besoin d’homme, c’est un besoin de guide, c’est un besoin de guide spirituel, mais de guide spirituel très pragmatique, qui nous aide dans notre vie quotidienne. Je pense qu’on a besoin d’Église.
Que l’Église s’appelle église, temple, mosquée, machin, etc., on s’en fiche complètement. On a besoin d’endroit où on puisse se recueillir de temps en temps, facilement, pour se trouver. Parce que cela est cohérent par rapport à la notion d’éthique, d’authenticité, de bonheur, etc. et qu’on a besoin de se retrouver. On n’a pas forcément chez soi un temple de silence où on arrive à prendre le temps de se trouver. Quand on est très fort on arrive à se trouver dans le métro, dans le brouhaha intense de la vie quotidienne, mais cela nécessite quand même un certain travail. Et puis c’est quand même plaisant de trouver un coin… Que cela s’appelle religion machin ou religion chose, qu’est ce qu’on s’en fiche ! Là encore, au moment d’un mariage, au moment d’un enterrement, au moment de quelque chose, on a besoin d’un guide qui donne du sens. Au moment de la vie, il y a des étapes de vie. Chaque religion a des étapes différentes, mais dans la religion catholique il y a la première communion, ensuite il y a la communion solennelle, etc., qui amènent des prises de conscience par rapport à cette notion de spiritualité, de transcendance. C’est un chemin vers la transcendance et cela prend la place de ce que les parents ne savent pas forcément toujours faire.
Moi j’étais très partisan que mes enfants (j’ai cinq enfants)… Pour ma première j’étais plutôt hostile, donc c’était : « Non, la religion ce n’est pas ça, etc. ». La deuxième, je m’étais dit : « Après tout je ne sais pas trop comment lui permettre de choisir librement. Est-ce que c’est justement en ne la mettant pas dans un système religieux ? Ou en la mettant dans un système religieux pour lui permettre d’en sortir ?» Ce n’est pas évident. A la troisième j’ai commencé à avoir des doutes de partout et puis les deux derniers on les a mis au catéchisme, parce que j’ai trouvé que quelles que soient les religions dans lesquelles ils étaient éduqués, ce qui était important c’était aussi d’être cohérent avec le village dans lequel ils étaient. Parce qu’il y a quand même cette notion de communauté des hommes dans laquelle nous vivons et que ce qui est sympa, c’est de faire les choses avec des copains. Donc si moi, quand je me marie, j’ai tous mes copains qui ne sont pas là parce qu’ils ne font pas partie de ma religion, c’est quand même complètement ridicule. Peu importe la religion, pourvu qu’elle soit cohérente avec mon groupe. Si je suis avec des copains juifs j’irai à la synagogue et si je suis avec des copains protestants j’irai au temple, etc., parce que je me sentirai très bien. La notion de Dieu est à l’intérieur de soi et ce sont des structures qui nous permettent de l’exprimer à l’intérieur et puis aussi de partager et de communiquer, d’ouvrir les mains. De plus en plus dans ces cadres religieux on nous amène non pas à nous tourner vers le guide mais à nous tourner vers la communauté, c'est-à-dire à prendre conscience.
Entretien réalisé le 11 décembre 2007