Bernard Stiegler – éthique et société
- Nom: Bernard Stiegler
- Thèmes: Société
Transcription de la vidéo
A votre avis, comment rendre la société plus éthique ?
Je pense qu’aujourd’hui on ne peut plus s’appuyer sur ces choses toutes faites qu’étaient les Églises, cela ne marche plus comme cela. On est dans une société moderne, il ne faut pas chercher à reconstituer cela. Cela ne veut pas dire non plus qu’il faut faire la guerre à cela. Je ne suis pas un anti-religieux, je ne suis pas un laïque dogmatique, ou intégriste, parce que l’intégrisme laïc existe autant que l’intégrisme religieux. En revanche, je pense qu’il faut penser l’avenir. Et aujourd’hui, nous avons en effet une perte de ce qu’appelle Hegel « la substance éthique », la Sittlichkeit. Une perte qui tient à de grandes transformations de la civilisation, beaucoup par la technologie, l’industrie, le capitalisme, le marché, etc. Sachant qu’il y a, dans toute l’histoire des sociétés humaines, des moments de grande crise éthique ; mais à ce point-là, jamais. Et c’est d’autant plus compliqué que nous voyons, à notre époque, se multiplier les comités d’éthique, les questions éthiques, l’éthique des affaires, l’éthique en politique, toutes ces choses-là. En général quand on parle autant d’une chose, c’est qu’elle fait défaut. Nous sommes dans une situation an-éthique, une situation aujourd’hui catastrophiquement dépourvue d’éthique. C’est très inquiétant.
Nous qui sommes des – Nietzsche les appelait des « tard-venus » –, ceux du XXème siècle, arrivés après Freud, après Marcuse, après 68, après les situationnistes, après tant d’autres choses, et surtout après l’invention du marketing et des lois du marché qui disent « tout est permis car ça fait vendre et ça fait tourner la machine économique », nous sommes très démunis sur ces questions. Et nous sommes donc confrontés à une terrible question éthique. Cela étant, l’éthique n’existe jamais. Dans tous les cas. C’est très dur pour nous, mais à l’époque de Sophocle et de Périclès, c’était aussi très dur.
Alors comment faire dans une situation comme celle-ci ? Outre que l’on pourrait dire qu’il faut reconstituer des forces politiques, des forces spirituelles, des forces intellectuelles… Oui, mais en attendant, comment est-ce que je fais, moi, tout seul dans mon coin ? Ça, c’est une question difficile. C’est une question très difficile.
Entretien réalisé le 11 janvier 2008