Anne Baudart – éthique et connaissance de soi
- Nom: Anne Baudart
- Thèmes: Connaissance de soi
Transcription de la vidéo
Quel rapport faites-vous entre la connaissance de soi et la pratique de l’éthique ?
Mon socratisme naturel va ressortir ; c’est-à-dire que la connaissance de soi – j’ai commencé par là d’ailleurs dans les questions que vous me posiez, donc c’est un peu en boucle, je ne sais pas si on est à la fin ou au début –, mais la connaissance de soi m’apparaît vraiment être un paramètre fondamental et se connaître soi-même, c’est vraiment la démarche éthique première. C’est-à-dire qu’il faut beaucoup d’efforts pour se connaître soi-même, ce n’est pas facile, parce que se connaître soi-même suppose qu’on accepte le plus, le moins, la grandeur, les faiblesses, enfin le mixte qui nous façonne.
Et là aussi, si vous me permettez, je prendrais bien le registre platonicien comme exemple. Platon dans un grand texte qui s’appelle L’Alcibiade, nous dit : « Connais-toi toi-même, c’est regarde-toi toi-même ! » Alors pas du tout au plan narcissique, ce n’est pas un texte sur l’éloge du narcissisme « regarde-toi toi-même ! » Et il y a un disciple qui comprend cela narcissiquement et qui dit : « Mais enfin, je ne vais pas passer ma journée à me regarder moi-même ! » Et Socrate lui dit: « Mais si, regarde-toi toi-même, regarde au centre de toi ! » « Mais comment pourrais-je regarder au centre de moi ? » dit le disciple. « Eh bien, regarde dans l’œil d’autrui !» Le « Connais-toi toi-même ! » devient un « Regarde-toi toi-même ! », donc le paradigme de la vision, et « Regarde dans la pupille qui va te renvoyer ton image ! » Donc, deuxième versant de l’exemple. Et troisième versant : « Tu verras dans la pupille. La pupille est la médiation qui te renvoie à l’âme d’autrui. » Donc du « Regarde-toi toi-même dans l’œil d’autrui ! », « Regarde-toi toi-même dans l’âme d’autrui !», et « Regarde-toi toi-même dans ton âme à toi !» c’est tout le cycle parcouru par le « Connais-toi toi-même ! » Cela se termine par « Connais Dieu qui est en toi, mais parce que tu l’auras vu dans l’autre et tu le verras en toi ! »
J’ai oublié la question que vous me posiez, enfin je sais que c’est sur « Connais-toi toi-même ! », mais là on est au centre d’une démarche éthique qui m’apparaît assez capitale, c’est-à-dire :« Connais l’universel de l’homme qui est en toi !»
Est-ce que se connaître passe par le fait de connaître ses défauts ?
Les connaître, peut-être est-ce déjà une façon de les dominer ? Et ce n’est pas si facile que ça. C’est-à-dire qu’il faut les sérier – et vous savez comme moi ce que cela implique – et peut-être les transformer — parlons négatif/positif —, peut-être les convertir. Peut-être qu’on ne pourra jamais modifier… Il y a peut-être effectivement des choses de nous-mêmes que nous ne pourrons pas parvenir à modifier ou très peu modifier. Si on est misanthrope, notre pente est misanthropique, ou au contraire si notre pente est philanthropique – ce sont des défauts dans les deux cas –, on n’arrivera peut-être pas effectivement à le modifier fondamentalement. Mais on peut en avoir une plus ou moins grande maîtrise.
Donc je crois que sans connaissance de soi il n’y a pas de maîtrise possible de soi. Et on ne peut pas demander aux autres de se maîtriser, si soi-même on n’est pas aussi dans une démarche de maîtrise. Cela me paraît le B.A BA, c’est le B.A BA de la psychanalyse. Freud nous dit très bien que celui qui se connaît lui-même est guéri. Dans l’exemple de la névrose au sens freudien, au sens médical, effectivement, il a une très belle formule. Il dit : « Le malade lorsqu’il est guéri rentre chez lui. » C’est-à-dire que la santé est définie comme retour chez soi. Le malade n’a pas changé, fondamentalement. Il a un autre regard sur lui-même. Les guérisons, rares peut-être, sont celles-là. Donc, se connaître soi-même ce n’est pas se nier, c’est effectivement trouver ce que nous sommes, essayer de le travailler, c’est peut-être le sens de la vie finalement aussi ce travail, et si on l’exige d’autrui, je crois que le minimum c’est de l’exiger de soi-même.
Entretien réalisé le 16 novembre 2007