Jean-Claude Casadesus – éthique et rapport à la mort

Transcription de la vidéo

Pensez-vous que le fait d’essayer de vivre d’une manière éthique change quelque chose dans le rapport qu’on a à la mort ?

Curieusement, la mort ne me pose pas à moi un problème personnel, sauf pour ceux que j’aime. C’est-à-dire que j’envisage ma mort comme quelque chose d’abstrait, complètement. J’ai failli mourir trois ou quatre fois, j’y ai échappé de justesse, je l’ai vue en face. Jusqu’à maintenant, mais c’est une preuve d’inconscience certainement, peut-être encore de jeunesse résiduelle, ça ne me fait pas peur. Mais ça me terrifie pour ceux que j’aime. Parce que c’est l’absence, la mort. Mais en fait avec un travail que je fais et qu’on peut faire, la pensée – j’ai perdu mon père il y a deux ans, des amis et des proches cette année –, en fait la force de la pensée et surtout celle qu’ils vous ont laissée vous permet de rester en communication avec eux.

C’est vrai que c’est la question la plus forte existentielle qui soit, cette question-là. J’y pense tous les jours, je me dis : « Vraiment, tu peux mourir, là ! » Alors mon seul souci, au fond, c’est de laisser – et ça c’est de l’orgueil, j’espère qu’il n’est pas trop mal placé – une petite œuvre.

J’ai commencé de rien, dans cette région. Avec un orchestre moribond, qui devait mourir, dont je devais terminer le contrat, et c’était un point d’interrogation ouvert sur l’avenir avec d’ardents adversaires qui sont devenus de fidèles thuriféraires par la suite. Donc j’ai eu la notion de la mort d’une entreprise musicale et j’ai eu l’extraordinaire honneur de pouvoir avoir la possibilité de construire une entreprise et un public ; avec un public, avec une région, le soutien d’une région, et c’est venu petit à petit. Et tout d’un coup une institution qui fait partie de la vie des gens. Ça, c’est une fierté que je revendique, en me disant : « J’avais une envie, c’est que la musique aille dans le quotidien des gens comme une philosophie de vie. » Le premier concert que j’ai réalisé dans cette région, il y avait 57 musiciens sur scène et 51 auditeurs. Nous avons 200 000 auditeurs, plus de 5000 abonnés, 15000 enfants par an, des abonnés qui ont connu l’orchestre quand ils avaient huit ans et qui viennent maintenant avec leurs enfants. Donc la transmission est pour moi quelque chose de très important, et aussi de permettre aux plus démunis de cette société, aux plus défavorisés d’être associés à cette notion irremplaçable qu’est l’émotion musicale.

Donc laisser une œuvre clés en main : je peux mourir demain, je sais aujourd’hui qu’elle existe. Alors d’une certaine façon sur ce plan-là je suis un peu serein. Maintenant, je n’ai pas tellement envie de mourir demain, mais pour répondre peut-être plus à votre question, je ne souhaiterais pas vivre impotent, je n’y arriverais pas. Je suis trop dans la vie, avec en même temps la retraite quotidienne que m’impose l’étude solitaire de mon métier et qui est souvent une douleur. Parce que c’est la solitude, c’est le doute, c’est le manque de communication. Là, nous parlons tous les deux. J’étais très mal avant notre entretien, je suis fatigué, j’ai beaucoup trop de travail en ce moment, mais d’abord vos questions sont extraordinairement sensibles et sont profondes, et nous communiquons. Et quand on est seul, mon angoisse au fond métaphysique, elle vient beaucoup de ce que je sois confronté seul à moi-même. Là, oui, pour moi, c’est une forme de mort. Mais avec les autres, je pourrais mourir en société plus facilement, disons.

Entretien réalisé le 17 mars 2008

 

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