Haïm Korsia – définition
- Nom: Haïm Korsia
- Thèmes: Définition
- Disciplines: Religion
Transcription de la vidéo
Quelle serait votre définition de l’éthique ?
Je crois que la meilleure solution n’est pas de la définir. C’est que l’éthique reste toujours un questionnement. C’est peut-être ça, c’est la capacité à questionner en permanence. La pire des choses concernant l’éthique, c’est une éthique à moitié comprise. C’est-à-dire en gros : on pose une question sur une situation, on obtient une réponse à un moment et on considère que c’est LA réponse, ce qui empêche d’autres de se poser la même question, y compris soi-même, de se reposer la même question. Or chaque jour il y a une réponse différente, parce que les cas ne sont jamais les mêmes, jamais. Même si on met en place des principes, aucun cas au monde ne correspond exactement au principe. Et donc, qu’est-ce que l’éthique ? C’est un questionnement permanent. En fait c’est un doute qui est éloigné du doute qui m’empêche d’avancer, c’est un doute qui me permet d’avancer. C'est-à-dire en gros je mesure en permanence et les conséquences de mes actions, et le poids qu’elles ont sur l’histoire du monde, sur le mouvement du monde. Disons que je peux vous définir ce qu’est l’inverse de l’éthique : l’inverse c’est quelqu’un qui se dit : « J’avance sans état d’âme ». Donc l’éthique ce serait des états d’âme, non pas comme on l’entend… D’ailleurs c’est étrange que le fait d’avoir des états d’âme se dise de quelqu’un qui ne sait pas exactement où il en est, il hésite sur le bien-fondé de sa démarche. Pas du tout ! Une démarche éthique, c’est quelqu’un qui fait fonctionner son âme, donc qui n’est pas dans la logique de « pas d’état d’âme », mais en permanence. Et ce doute qu’il instille en lui, ce questionnement, c’est son moteur.
Qu’est-ce qu’une réflexion éthique ? C’est la hiérarchisation des choses. Je veux quelque chose. Ok. Mais est-ce que ce que je veux perturbe le monde ou perturbe la société ? Un exemple simple : je comprends par exemple le désir d’enfant, je le comprends et je comprends que les gens fassent des pieds et des mains pour faire une GPA. Je suis profondément contre la GPA : c’est un asservissement du Sud par le Nord, des pauvres par les riches. C’est un asservissement. C’est l’utilisation commerciale du ventre d’une femme. Je n’ai jamais vu une milliardaire porter un enfant pour une femme pauvre, c’est en général toujours l’inverse. Il y a un tarif. C’est terrible, je sais qu’il y a un tarif pour un enfant. Le tarif c’est 8 000 dollars en Inde, 20 000 - 15 000 en Ukraine, entre 50 000 et 150 000 dollars aux États-Unis. Donc voilà, je vous donne les tarifs. C’est terrible, tragique, donc je suis contre. Et pourtant, je comprends que des familles n’ayant pas d’autre solution, croyant ne pas avoir d’autre solution, cherchent à avoir un enfant comme ça. Et mieux, quand ils ont un enfant comme ça, par GPA à l’étranger, je pense qu’il faut reconnaître que l’enfant est là, donc ne pas mettre des bâtons dans les roues pour son inscription à l’état-civil, etc. Ce n’est pas schizophrénique, ou ce n’est pas jésuite. C’est plutôt le fait que je dois concevoir que parfois mes désirs personnels viennent contrer le bien collectif. Et c’est ça qu’il faut mesurer en permanence.
En fait l’éthique c’est ça. C’est dire « je comprends ». En fait on ne peut pas dire « je ne peux pas comprendre ». Oui, la Bible le dit : Rachel n’a pas d’enfant avec Jacob, et elle hurle, dans la Bible : « Donne-moi des enfants sinon je suis morte !», dans la Genèse. Et Jacob lui répond : « Qu’est-ce que tu veux ? Je ne suis pas à la place de Dieu qui ouvre ou non la matrice. Je ne suis pas Dieu ! » Et donc je comprends cette souffrance. Elle est dans la vie, elle est dans l’humanité. Il suffit d’avoir des amis qui n’ont pas d’enfant et qui veulent des enfants pour comprendre ce que ça veut dire.
Mais c’est à nous, c’est à la société de trouver comment essayer le plus possible, c’est ça une recherche éthique. Il n’y a pas une solution idéale. Il y a une solution à un moment, une crête, où on trouve un point où il y a le moins de désordre dans le monde. Alors vous allez me dire : « Mais comment un enfant qui est amour, qui est beauté, qui est sourire peut créer du désordre dans le monde ? » Non, il ne crée pas du désordre dans le monde, mais si on cède à toutes les demandes de chacun et de chacune, alors il n’y a plus de société, alors il n’y a plus d’impératif collectif. Et l’idéal, la société idéale c’est une société où en répondant aux besoins individuels on ne fracasse pas l’intérêt collectif. Et ça, ça implique, oui, une hiérarchisation des choses.
Entretien réalisé le 4 octobre 2018